Il se dit qu’on pourrait inventer une histoire où deux amis, éloignés par la vie, correspondirent pendant quarante ans en se répétant comme il serait agréable d’aller prendre une bière ensemble… et cela jusqu’au jour où leurs mains tremblant trop, ils cessèrent de l’écrire pour se mettre à le radoter année après année après année à chaque fois que revenait l’été… ainsi, jusqu’au jour où leurs petits-enfants, chacun de leur côté, les hissèrent sur leurs fauteuils et les poussèrent l’un vers l’autre…
Les convois se rencontrèrent à mi-chemin, c’est à dire à St-Pierre et Miquelon où –sauf pour la morue et autres facéties du destin– il ne se passait jamais rien… Là, les jeunes eurent beaucoup de plaisir à se connaître, burent beaucoup de bière et peu d’eau, et se jurèrent de recommencer bientôt… Là, les vieux se dévisagèrent, hébétés chacun de son côté par la vue de l’épave incongrue devant lui échouée, chacun prêt à dire le premier À la tienne ! C’est à moi la tournée, chacun attendant son radieux ami d’autrefois qui n’arrivait pas… et les deux repartirent sans s’être adressé la parole et déçus que l’autre ne soit pas venu…
Il se dit… que s’ils avaient été un peu moins butés, farouches et têtus, chacun aurait pu au moins raconter qui il attendait et se serait rendu compte qu’il s’agissait de quelqu’un que l’autre avait bien connu…
Il se rappela alors… que tout cela ne serait qu’une histoire, que rien de tout cela ne se serait vraiment passé et qu’ainsi les amis n’auraient rien manqué…
Bis.
Outremont, le 26 mai 1989