Ils sont presque tous devenus vieux. Mes idoles, mes glorieux. Eux que j’avais érigés en monuments fiers et beaux. Des vieillards. Même Jean Béliveau. Ce qui n’annonce rien de bon pour l’avenir, le mien et le vôtre aussi.
Les autres, ceux qui n’ont pas été frappés de vieillesse, sont morts.Certains l’ont choisi ainsi. La plupart non. Fauchés, bien avant le temps, par une machine, aveugle et dévastatrice, qui n’a cesse de nous rappeler qu’on est bien peu de choses, comme le dit si bien le cliché.
N’oublions pas. Pansons nos plaies. Tâchons d’en profiter.
Mourir pour éviter de vieillir, cela se fait mais, selon moi, c’est peine perdue : on disparaît sans profiter de ce que l’on vient de réussir. La proposition inverse – vieillir pour éviter de mourir – ne tient pas la route. Cela va de soi. Mais c’est le moindre mal à défaut de ne pouvoir décrocher le gros lot – la vie à perpète, l’immortalité – puisqu’on profite d’un sursis jusqu’au moment, obligé, un bon matin, d’accrocher nos patins.
J’essaie de me convaincre que ma mort sera un événement ordinaire de ma vie, et qu’en tant que tel je ne devrais pas trop m’en préoccuper. C’en est certainement la charnière la plus prévisible ; un jour, je basculerai de vie à non-vie, c’est écrit, inscrit en moi. Je retournerai d’où je viens.
Cette bascule est à la fois l’événement le plus mystérieux qui soit et le plus structurant en ce qu’il donne un semblant de sens à tout le restant. C’est aussi un moment banal : flip/flop, on/off, contact/coupé, vivant/néant! Disparu. Dissous. Dorénavant, néant dans le néant.
«Tout est dans tout…» chantait Raoul Duguay, sauf exception : rien ne peut être dans rien. N’essayez donc plus de me rejoindre, il n’y aura définitivement plus de service au numéro que vous aurez composé.
Ces évidences constatées (je finirai bien par me convaincre…), je suis pris de vertige à la pensée de la «profondeur» du néant qui m’a précédé et à celle du néant qui me suivra. Et, puisque qu’avant, néant moi-même j’étais, et qu’après, néant je serai, c’est bien là davantage, et de loin, mon état naturel, si l’on peut dire que non-être soit un état… Davantage que ne l’est ma vie qui m’apparaît alors comme à peine un précieux scintillement dans un océan de rien.
Vue de cette façon, à mes yeux, ma mort ne peut pas être un désastre, ni même un événement important. Ce sera tout simplement un retour à l’ordinaire des choses. Et, cadrée large, c’est alors ma vie qui m’apparaît extraordinaire, une anomalie, un cadeau (si l’on veut, mais c’est se donner beaucoup d’importance…), un (bijou, caillou, chou…) joujou, une facétie, une nano digression improbable dans la marche de l’univers. C’est très peu mais, au moins, ce n’est pas rien.
Voilà!
Ce qui précède ne me rassure pas vraiment. Par contre, cela me conforte dans mes urgences et mes intentions : j’y suis, j’y reste; Carpe diem, quitte à payer plus cher de loyer.
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