Desiderata

Il est question ici d’amour.  D’aimer et d’être aimé.  Question d’aimage, de l’activité d’aimer.  Le mot me semble meilleur qu’amour, plus proche du verbe qui dit la chose, plus ami, rumeur dans la vie.  Impossible de sourire sur le «our»  d’amour; tandis que d’elle-même la bouche se dégage, sourit sur le «age» d’aimage.

desiderataAimage commence par soi, se rendre ami, aimable à soi.  Moins vertigineux qu’amour.  On ne tombe pas en aimage.  Et, si on dit peine d’amour, on dira panne d’aimage.  Amour est plus un état, aimage une action, une activité, une disposition.  Au jour le jour, «aimez-vous les uns les autres» est plus aimage qu’amour.  Aimage est comme l’odeur du pain le matin qui sourit.  Panne d’aimage est saison de sécheresse au jardin de nos vies.  On dit être en amour.  Si l’on utilisait aimage, je crois qu’on dirait faire l’aimage de soi.  Ce qui est le contraire de s’oublier. Aimage est qualité d’amour.  Et dans ce que je veux dire, tous en ont reçu et donné mais le son en est rauque et comme articulé par un sourd. Cela devrait pourtant être simple à raconter comme quand Breton nous souhaite d’être follement aimés. Alors j’imagine ce qui fut, ce qui est, ce que je sais.  Confusément, à partir de quelques mots chétifs éparpillés au fil des années…

Je sais qu’il s’agit ici d’un homme, d’un enfant et d’une comète un soir d’été, autrefois.  J’imagine cet enfant que je sais, jouant, il y a longtemps, avec un soldat de bois sur la table de la cuisine et l’homme qui se lève et dit :

– Viens Tit-gars, j’ai quelque chose à te montrer.

Et j’imagine l’enfant, surpris, qui saute de sa chaise et suit l’homme tandis qu’au bout de la table le soldat de bois bascule dans le vide les bras en croix.

Je sais que ce soir là l’homme et l’enfant sortirent sur le balcon ensemble.  Je n’ai jamais vu la maison, mais je l’imagine avec un balcon bas, de planches grises, qui en fait tout le devant, sans rampe, avec un petit toit. J’imagine aussi l’homme : grand, cheveux noirs, poignets de chemise roulés, mains dans les poches.  Et je le vois maintenant qui regarde le ciel et l’astre qui passe.  Et je vois aussi l’enfant, les yeux grands, qui regarde l’homme que j’entends comme si j’étais là :

– C’est la Comète.  Paraît que c’est l’étoile des Mages.  Si t’as un voeu à faire, c’est le temps, Tit-gars.

Et tandis qu’ils sont sur le balcon, en arrière plan, derrière l’homme et l’enfant, j’imagine, je sais, je sens, la mère. Je ne l’ai jamais connue, mais cet enfant d’il y a longtemps m’a raconté qu’un autre soir  –alors qu’il était devenu grand et revenait du village où il avait dansé avec les filles de la ville–  la mère lui avait dit (et je l’entends elle, et je l’envie lui) :

– Montre-moi ce qu’on danse aujourd’hui.

Et c’est tout ce que j’en sais.  Mais je l’imagine, lui, timide, qui sourit et elle, l’invitant, qui tend les bras ; il la prend, je les vois ; ils tournoient, ils rient; ils s’arrêtent, se regardent, puis elle dit :

– Je te souhaite… Je te souhaite d’être follement aimé, mon grand.

Et dans ce que j’imagine, venant d’elle, il comprend.

Je sais aussi que cet enfant d’autrefois devenu grand et sérieux, lui que j’ai tant aimé, est maintenant devenu vieux, et à propos de ses rêves… silencieux. Et je l’imagine malgré son silence, lui qui fut bon soldat, comptant ses jours tout bas, sachant que la terre est plate et finie et cherchant où mettre le pas sans basculer dans le vide avec cette voix qui dit : «Viens Tit-gars…»

Et je sais aussi que la Comète est revenue. Cette fois, je la vois, je l’ai vue.  Et dans le ciel de mon désir, alors qu’elle revient, j’imagine que l’enfant devenu vieux se souvient, se réjouit, rit et dit :

– Venez, j’ai quelque chose à vous donner.

Et tout le monde se retrouve sur la montagne la nuit, agglutiné.  Et l’enfant vieil homme regarde le ciel, entouré de nous, ses enfants, tout contre lui réchauffés :

– Parait que c’est un présage… vous serez tous follement aimés…

Voilà, ma comète est venue, ma comète est passée.
Les mots que j’alignais tout doux pour me bercer
Encore une fois m’ont chaviré.

Outremont, novembre 1989

Comment dire ……. Ils